Les insectes mutants

Où que se tourne le regard, l'oeil ne voit que du sable. Le soleil est à son zenith et la réverbération brûle terriblement les yeux. Un petit groupe d'aventuriers est réuni au creux d'une dune, à la recherche d'un peu de fraîcheur. Parce que la chaleur, à ce moment de la journée, est terrible. Les bouches sont sèches, les corps déshydratés.

Algirdas se tourne vers le nord-ouest, où il sait se trouver les ruines d'une cité. Mais il ne voit rien. Ils sont aux portes du désert profond. S'ils s'enfoncent plus avant, plus aucune direction n'existera que celle menant à l'inconnu et probablement à la mort...

Mais pour l'heure, le groupe est bloqué. Depuis plusieurs jours, il lutte contre un fort parti d'animaux tous plus monstrueux les uns que les autres. A l'horizon, tout est flou, effet des brumes de chaleur. Les silhouettes ennemies, un peu plus loin, sont à peine distinctes. Mais il sait ce dont il s'agit : scarabées et freulons géants. Pas de lynx, pas de bandits... Il y avait bien un lancier qui s'était joint à eux, mais il est tombé il y a plusieurs heures déjà.

Il a beau chercher, il ne se rappelle pas avoir jamais vu une telle concentration d'insectes. Ce phénomène est d'autant plus inquiétant qu'ils font montre d'une grande agressivité. Que se passe-t-il ? Serait-il le témoin d'une action de reconnaissance, prémice d'une opération de plus grande envergure ? Quelque chose aurait-il changé dans la nature, qui aurait provoqué l'éclosion de tous ces oeufs ? Quelque mage fou aurait-il jeté un sort aux nids afin de leur donner le pouvoir de détruire les derniers survivants d'une humanité à bout de souffle ?

Algirdas n'est pas inquiet dans l'immédiat. Le groupe a connu des pertes. Wolf, son fidèle serviteur et ami, compte d'ailleurs parmi les combattants tombés au champ d'honneur, et doit être en train de revenir en pestant comme un charretier. Mais l'ennemi est en train de plier. Les cadavres d'insectes souillent le sable de leurs viscères visqueuses et malodorantes. Bientôt, ils pourront aller détruire le nid, qu'ils aperçoivent un peu plus loin.

Par contre, l'avenir lui fait peur. Peut-être ce nid est-il isolé, mais peut-être ne l'est-il pas ? Un message de Wolf, reçu la veille par vautour-messager, lui fait craindre le pire. Il disait avoir croisé plus d'insectes que de coutume.

Tous les membres du groupe ont les yeux perdus et un peu fous. Personne ne sait ce dont demain sera fait, et tous sentent que quelque chose se prépare. Quelque chose de monstrueux, d'énorme, et qui assombrit leur avenir.

Là-bas, dans ces étendues mortelles qui recouvrent maintenant l'essentiel de la planète, deux groupes s'apprêtent à se jeter une nouvelle fois l'un sur l'autre...

Nepharius était penchée sur le corps d'une de ces créatures.
Une sorte d'abeille ou de frelon dont la taille rivalisait avec celle d'un gros chien.
Elle lui avait litéralement écrasé l'abdomen à coups de matraque.
Et il en avait fallu de nombreux.
Kymon était près d'elle, observant lui aussi la créature d'où coulait un étrange liquide visqueux.

" Raaah. Si j'avais une fiole ou quelque chose du genre, je pourrais en ramasser un peu et l'étudier de retour à Vangrim. "
" Pourquoi faire ? Demanda Nepharius "
" Et bien, peut-être en apprendrions nous plus sur ce que nous devons combattre. Je vais vérifier dans mon paquetage si je n'aurais pas de quoi en emporter un peu ".

L'Ambassadrice du Second Eveil se tourna vers Algirdas, dont le regard inquiet parcourait l'horizon.
Ils étaient tous fatigués, suite aux nombreuses luttes contre ces horreurs et leur groupe était fortement réduit.
Il fallait espérer que de nouvelles créatures n'attaqueraient pas pendant la nuit, ou cela deviendrait compliquer.

Nepharius s'adressa alors à Algirdas :
" Te souviens-tu de ces felins que nous avons combattu il y a plusieurs semaines maintenant. Ils ne venaient bien de quelque part.
Tout à une source. Et comme pour celle des gros chats, nous trouverons celle de ces insectes. Et nous nous arrangerons pour préserver les survivants des environs de leurs attaques ".

La Roc sourit, l'air persuadé de ce qu'elle disait.
" Et notre destructeur de nid va bien finir par noue retrouver... "

Un autre campement, ailleurs et quelque temps plus tard, les mêmes étendues de dunes mortes, le même soleil implacable, la même chaleur brûlante et sèche... Une ville non loin de là... Car tel est devenu notre monde : son affaissement l'a rendu à la fois simple parce que si peu différent d'un lieu à l'autre, et complexe parce qu'y survivre demande une attention de chaque instant...

Oui, on dirait vraiment que rien n'a changé. Algirdas est encore en train de scruter l'horizon. Et ce qu'il observe, ce sont encore des insectes, scorpions et scarabées géants, tous aussi laids et dangereux les uns que les autres.

Pourtant, les choses sont quelque peu différentes, cette fois-ci : la ville n'est pas dans la même direction, et ce n'est d'ailleurs pas la même ville ; les épaulettes d'Algirdas arborent l'étoile de commandant de l'armée du Second Eveil ; lui et Wolf sont seuls dans le camp ; et les insectes sont plus nombreux.

Tous deux sont allongés au sommet d'une dune, protégés par la crête de la vue des monstres. Ils observent l'ennemi à la jumelle.

- As-tu vu, Wolf mon ami ? Là-bas, sur la gauche ? Ce doit être leur nid.
- Oui, jeune maître. Wolf voir. Wolf penser que détruire nid être bonne idée. Ensuite tuer carapacés. Quand eux plus avoir nid, eux plus pouvoir avoir renforts.
- Carapacés ?
- Bête avoir carapaces.
- Ah ! Oui... Je ne sais pas... Détruire un nid demande beaucoup de travail, il est impossible de se battre en même temps. Ces cochonneries pourraient nous attaquer pendant les travaux.
- Quand armée devoir venir ?
- Pour l'instant, elle se rassemble. N'oublie pas que nous ne sommes là qu'à titre d'observateurs. Ces monstres sont trop nombreux pour nous deux, nous nous ferions allumer en deux temps trois mouvements.
- Wolf penser : quand armée être là, envoyer deux ou trois soldats détruire nid, et tous autres soldats attaquer insectes. Peut-être destructeurs nids pas attaqués, si insectes occupés par combat ? Et quand avoir fini, rejoindre front.
- Hmmm... Je ne sais pas... Nous aurons besoin de toutes nos forces pour lutter contre ces cauchemars ambulants... Le nid peut peut-être attendre. Tout va dépendre du nombre que nous serons... En attendant, envoie donc un vautour-messager, qu'il prévienne nos hommes de ce à quoi ils doivent s'attendre. Fais vite.
- Oui, jeune maître, Wolf faire.

Là-bas, où sable et horizon se mèlent en un étrange camaïeu jaune-orangé, noyé de rouge par le soleil du soir, un humain musculeux et solide se lève et se dirige vers une cage, et il a l'air si ridiculement petit et faible face aux éléments, lui qui est pourtant d'une constitution si robuste, qu'on se prend à penser que, décidément, l'avenir de l'espèce s'annonce bien noir en ces temps incertains.

Alors, involontairement et irrémédiablement, le regard se sent attiré par les insectes, au loin. Et la pensée vous vient, insidieuse et obsédante, en observant ces machines parfaitement adaptées au désert, que l'avenir de la vie sur cette planète est peut-être là, au coeur de ces exosquelettes monstrueux...

- Mais qu'est-ce que c'est que ce truc ?!!!!

Algirdas, l'arme à la main, est accroupi auprès du cadavre du scarabée qu'il vient d'achever. Il observe une substance verte, apparemment sortie de l'abdomen de la chose. Elle semble a priori sans intérêt, peut-être quelque nourriture mal digérée ?... Mais quelque chose lui souffle que ce pourrait être plus important.

Hésitant, il finit par tremper l'index dans le liquide, et le porte à sa bouche. Il le goûte du bout de la langue. C'est gluant, c'est mauvais (il crache), mais du diable s'il sait ce dont il s'agit !

Wolf s'accroupit à ses côtés et lui tend une gourde :
- Petit maître boire. Faire passer goût.
- Merci !...

Il boit une longue lampée. Puis, distraitement et sous l'oeil horrifié de son compagnon, il vide le reste du récipient dans le sable.

Wolf se saisit rapidement de la gourde, mais trop tard, elle est déjà vide. Il s'exclame :
- Petit maître ! Pas jeter eau !!!

Le regard absent, Algirdas récupère doucement la gourde et répond d'une voix atone :
- Nous en avons d'autre.

Puis, il sort un cuillère de ses fontes, et s'en sert pour transvaser la substance dans le flacon.

- Désolé, Wolf, je sais bien-sûr ce que l'eau représente, mais je crois que ce truc a une grande importance, même si je ne sais pas encore pourquoi. Je sens qu'il nous faut l'emporter. Peut-être est-ce la clef qui pourrait nous permettre de comprendre ce qui se passe. Ou une partie de la clef.
- Pas être truc que Victor Antarès acheter ?
- Mouaip !... C'est ça, mon ami... Mais je ne suis pas sûr d'avoir envie de le lui vendre. C'est un commerçant : il n'achète que pour faire des bénéfices. S'il paie 25 MU pour une dose de ce machin, combien crois-tu que ça puisse valoir ?...
- Wolf pas savoir... Et qui acheter plus cher ?
- Je l'ignore, et je m'en moque... J'aimerais surtout que le Second Eveil tente de résoudre ce mystère : pourquoi cette soudaine recrudescence d'insectes ? Et je pense que cette cochonnerie pourrait nous aider à le découvrir, même si je ne vois pas comment...

Tous deux se lèvent. Algirdas glisse la gourde dans ses fontes, puis ils se tournent vers un autre scarabée et, rejoignant leurs compagnons de combat, reprennent leur danse mortelle...

Debout devant la table de campagne, dans la tente de commandement, Algirdas était perdu dans la contemplation d'une missive. La nouvelle qu'elle avait apportée, dans la matinée, était d'importance et méritait qu'on s'y attarde maintenant que la crise semblait s'éloigner.

- Qu'en penses-tu, Wolf mon ami ?
- Wolf pouvoir relire ?
- Bien-sûr. Tiens.
- La... des... truc... tion... du... nid... est... re... tar... dée... plu... sieurs... sc... scor... pions... sor... tent... de terre... comme... att... i... rés... par... leur... propre... odeur...
- Hu ! Hu ! Ça me fait tout drôle de t'entendre prononcer une phrase entière, avec tous ses mots, même à cette vitesse !
- Mouarf !!! Plumonium être type bizarre. Mettre trop mots dans phrases. Comme vous, jeune maître. Perte temps !
- Oui, mon bon Wolf, tu as sûrement raison !... Mais qu'en penses-tu, alors ?
- Wolf penser jeune maître avoir eu raison donner ordre. Etre logique. Et faits donner raison.
- Les faits semblent nous donner raison, oui, mais nous n'avons pas de certitude pour autant...
Etre vrai, mais... Insectes attirés par odeur insectes quand pas y avoir insectes : d'où venir odeur ? Militaires posséder substance étrange : substance être ichor insectes morts, porter odeur insectes. Jeune maître avoir idée demander militaires jeter substance loin... Et insectes quitter nid, plus venir, ou moins nombreux... Nid bientôt détruit. Peut-être hasard, peut-être pas.
- "Peut-être hasard, peut-être pas" ?... J'irais revoir ma Normandi-heuuu...
- Mouarf ?
- Rien, laisse tomber. Hum... Certes, je peux me tromper, mais je pense que nous avions trop d'échantillons de cette substance sur nous, ça attirait les insectes. Mieux valait nous en débarrasser. Au pire, notre décision a fait des heureux chez les Gyôshônins. Au mieux, nous avons découvert un levier sur lequel jouer si une autre offensive se déclare et donné aux chercheurs Gyôshônins matière à effectuer des recherches.
- Wolf demander Wolf si bonne idée vendre substance aux Gyôshônins...
- Pourquoi ? Elle ne pouvait que nous attirer plus d'ennuis !
- Mouarf ! Si tout guerrier garder petit échantillon sur guerrier, armée pouvoir réunir tous petits échantillons portés par guerriers et faire grand échantillon pour attirer ennemi loin...
- Mouaip... On a paré au plus pressé, pour l'instant. Mais on en retrouvera, de cette substance, n'aie crainte. En étant prudent, nous pourrons tester ton idée...