Lug

Ténébreux, déterminé, fraîchement coiffé, il marche sur la ligne blanche d'un pas franc, accompagné de son fidèle Blacky. Il ne redoute pas le monde. Il ne redoute pas les mutants, ni les bandits. C'est un dur, un vrai.

Né trop tard dans un monde trop pourri pour lui, orphelin dès l'âge de trois ans et drug-addict quelques mois seulement plus tard, il s'est forgé une personnalité féroce en mangeant de la dynamite et en jonglant avec des boules de bowling.

Il charme les femmes comme il s'attire les ennemis : par camions. Il tue les méchants avec son regard. C'est un justicier.

Ce n'est pas Lug. Ni même l'image que Lug a de lui-même.
Lug est petit, noir, maigre, fumeur, pauvre, inexpérimenté, pas très viril et pas très courageux.

Et en plus il a un nom breton.

Le pavillon noir flottait sur les hauteurs de la ville fumante.
Lug ne savait pas ce qu'il faisait là. Etait-ce Vangrim ?
La ville était méconnaissable. Que des ruines.

Lug se traîna à l'entrée du désert. Une plante rachitique lui procura un peu d'ombre. Le lendemain, un ver rongea l'arbuste, contraignant Lug à l'exil.

Le petit homme vit au loin des hommes se battre avec des bêtes féroces. Ils étaient solidement équipés et les animaux étaient enragés. Un molosse, grièvement blessé, enfonça ses dents dans le bras d'un humain. Le sang jaillit de la veste de cuir mais l'homme riposta avec une arme à feu et l'abattit.

Lug s'approcha d'un autre chien furieux, qui affrontait un roc armé d'une barre à mine. Il sortit sa machette et s'apprêta à la planter dans son dos, quand la bête se retourna et le chargea.



Le courage ne réussissait décidément pas du tout à Lug. Il se réveilla, des semaines, peut-être des mois plus tard, en un seul morceau, dans une nouvelle ville inconnue.
Premier réflexe, il mit la main à sa poche. Son paquet de clopes avait disparu.

Dès qu'il put marcher sans douleur, Lug clopina vers le casino de la ville. L'établissement avait jadis été peint de couleurs plus criardes que les autres bâtiments, et cela se devinait sous l'épaisse couche de poussière qui l'avait recouvert depuis.

Les croupiers avaient depuis longtemps déserté l'endroit, seule une machine à sous semblait encore fonctionner. Elle était pleine à ras bord de pièces argentés. Lug avait perdu sa machette avec ses cigarettes, mais il sentit que la chance pourrait être de son côté.

Il misa un MU, tira le manche et... quatre MUs tombèrent. La chance était effectivement au rendez-vous.

Il remit une pièce dans la machine, mais ne gagna pas cette fois. Cependant il connaissait une vieille technique, qui lui permettrait de gagner au moins ce qu'il a perdu.
Il misa deux MUs. Puis quatre. Puis huit. Puis seize. Sans succès.
Fébrilement, il misa trente-deux. Et soixante-quatre pièces tombèrent. Sa technique était validée. Enthousiaste, il recommença.
Un, deux, quatre, huit, seize, trente-deux, soixante-quatre, cent vingt-huit.

Il n'avait plus qu'une quarantaine de MUs.
Lug se rendit compte de son erreur et donna un coup de pied dans le bandit manchot, qui répondit d'un grésillement moqueur.
Lug avait raté ses projets de richesse. Il allait devoir gratter la poussière comme tout le monde.

Lug entra dans l'Armée des Justes.
Ce fut rapide et sans cérémonie, bien que l'accueil de ses pairs fut chaleureux. Lug ne se sentait enfin plus seul. Il allait pouvoir défendre l'humanité contre les mutants, la loi contre le désordre, la sécurité contre le chaos.
Ils avaient baptisé leur ville Liberté. Ca promettait. Les méchants n'auraient qu'à bien se tenir. Lug alla demander des ordres. Il trépignait d'avance : allait-il tataner des pirates ? Allait-il patrouiller contre les mutants ? Allait-il espionner des ennemis ?

Son chef l'envoya à la mine.

Lug erra dans le sable et la poussière, bien loin des sillons creusés par le passage des dragsters. Cela dura des jours, des semaines. Peut-être trouverait-il cette mine un jour ?

Après avoir longuement marché vers le soleil levant, il arriva à un mur de pierres, jaillissant du sol comme les dents d'un molosse enragé. Les roches avaient la couleur du café et formaient une falaise infranchissable, forteresse imprenable barrant la route de part et d'autre de l'horizon.
Cela ne pouvait être naturel.
Sans se démonter, Lug longea la muraille vers le nord. Il trouva en route un paquet de cigarettes. Un signe que le destin lui souriait enfin. C'est en effet le lendemain matin qu'il arriva à la fin de son parcours.
Un mur identique et strictement perpendiculaire partait vers l'ouest en formant un coin. On ne pouvait ainsi pas aller plus au nord.
Tout ceci était donc le fruit d'un complot. Des gens, du haut de ces murs, devaient rire à nous observer comme des rats en cage. Quelle expérience réalisait-on sur nous ?

Lug eut envie de courir, pour raconter tout ça. Il n'avait jamais autant eu envie de marcher. Il réalisa qu'il avait repoussé ses limites, comme ça, soudainement. Cela lui fit froid dans le dos.